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Delta du Mékong

Le Mékong, qui est, avec 4 200 kilomètres de long, le troisième fleuve de l’Asie après le Yangzi et le Gange et le huitième du monde par le débit, fut la grande voie de peuplement de la péninsule indochinoise depuis le XIVe siècle; pourtant, il ne joue aujourd’hui qu’un rôle modeste comme axe de circulation.

Les nombreux rapides qui entravent son cours, le partage de son bassin entre le monde chinois (25 p. 100) et la péninsule indochinoise (75 p. 100), la division qui résulte de l’époque coloniale l’érigeant en frontière sur plus de mille kilomètres entre le Siam et l’Indochine, l’éclatement de cette dernière après l’indépendance ont en effet disloqué l’unité de ce vaste bassin de 795 000 kilomètres carrés. Seuls les deux plus petits des quatre états riverains de la péninsule, le Laos et le Cambodge, sont centrés sur le Mékong.

Sur les 620 000 kilomètres carrés de son bassin dans cette région ne vivaient en 1980 que 35 millions d’habitants, soit une densité de 57 habitants au kilomètre carré, très inférieure à celle de la plupart des grands fleuves asiatiques. Aussi le fleuve a-t-il gardé une allure sauvage qu’accentue encore le climat de mousson qui rythme de sa crue annuelle la vie agricole.

Selon l’expression du docteur Hart Schaaf, ancien agent exécutif du Comité du Mékong: «C’est un géant endormi, une source d’immenses potentialités pour la production d’électricité, l’irrigation et la prévention des inondations, une source virtuellement inutilisée.»

 

Delta du Mekong

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Un régime de mousson
Le bassin du Mékong comprend d’abord les sommets enneigés de l’Himalaya qui sont responsables d’une première pointe dans la crue annuelle, en juin, à la fonte des neiges. Cependant, la plus grande partie du bassin (montagnes du Sichuan, du haut Laos, plateau de Korat, chaîne Annamitique et chaîne des Cardamomes) connaît le régime de mousson qui rend le fleuve difficilement navigable. Aussi, c’est à la fin d’août et au début de septembre à Vientiane que l’on trouve une seconde pointe, la principale, dans la crue, près de deux mois après le début de la mousson humide. Il faut attendre les premiers jours d’octobre pour qu’elle ait atteint Phnom Penh. Fleuve de pays de mousson, le Mékong a donc un débit irrégulier. L’amplitude entre les plus basses et les plus hautes eaux est de 8 mètres à Phnom Penh, 12 mètres à Vientiane et près de 19 mètres à Louang Prabang, correspondant à une multiplication par vingt du débit. Dans la majeure partie du bassin du Mékong, la pluviométrie est inférieure aux 1 500 millimètres annuels nécessaires pour cultiver les rizières, à l’exception des régions de Vientiane, Paksé et du delta. C’est dire l’importance de la crue qui est un appoint indispensable. Malheureusement, le régime pluviométrique et, par suite, le régime hydrographique subissent de très grandes variations interannuelles; aux années de sécheresse détruisant les récoltes succèdent des années d’inondations catastrophiques pouvant ravager jusqu’à quatre millions d’hectares.


Un fait original est le rôle de régularisation que joue le Tonlé Sap au Cambodge. La crue du Mékong s’y engouffre aux plus hautes eaux (80 milliards de m3 emmagasinés, dont 34 milliards provenant des Stung et 46 milliards du Mékong), puis l’écoulement s’inverse à la décrue et le lac livre alors l’eau qu’il avait retenue. On projette d’augmenter ce rôle de régulateur en construisant un barrage qui permettrait de prolonger cette restitution et d’éviter ainsi les remontées salines dans le delta pendant toute cette période.

Bien que, à l’époque de la colonisation française, des lignes régulières aient relié Saigon à Houei Say, le Mékong demeure difficilement navigable et les bateaux de 1,20 m de tirant d’eau ne peuvent traverser les rapides de Keng Kabao que pendant quatre mois, ils ne franchissent pas ceux de Khemarat aux basses eaux, et l’on doit toute l’année contourner les chutes de Khône par la route. Tout cela explique que le Mékong soit tout autant un obstacle à franchir qu’une voie de communication.

 

Delta du Mekong

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Du Tibet à la mer de Chine
Le Mékong (en chinois, Lancangjiang) prend sa source à 4 875 mètres d’altitude, dans les chaînes neigeuses du Tanggulashan sur le grand plateau tibétain où il porte le nom de Dze Chu (l’eau des rochers).


Après 1 600 kilomètres à travers les montagnes du Yunnan (où il est connu sous le nom de Lantsang) qui lui fournissent 14 p. 100 de ses eaux, il se trouve à 365 mètres d’altitude et doit parcourir encore 2 400 kilomètres avant de se jeter dans la mer de Chine. Il franchit d’abord les chaînes du nord du Laos où se succèdent des passes étroites parsemées de rapides et des petits bassins comme celui de Louang Prabang.

Ce n’est qu’avec la plaine de Vientiane à 165 mètres d’altitude que la vallée prend quelque ampleur, et le fleuve atteint un kilomètre de large, avec un débit annuel de l’ordre de 140 milliards de mètres cubes (débit annuel moyen: 4 610 m3/s, débit maximal 26 000 m3/s en 1966, débit minimal 701 m3/s en 1956). Très vite, dans la région de Paksane, la vallée se resserre et est bordée dans la section de Thakhek par un magnifique relief karstique. Après les rapides de Keng Kabao, la vallée prend toute son extension et le Mékong entre dans la plaine de Savannakhet qui s’étend jusqu’à la cordillère Annamitique, la plus vaste plaine du Laos.

Les rapides de Khemarat passés, se succèdent de petites plaines à Paksé et Champassak où le Mékong peut avoir deux kilomètres de large. Puis c’est Sithandone, «le pays des quatre mille îles» qui s’achève sur les chutes de Khône, les plus majestueuses de l’Asie, avec un abrupt de plus d’une vingtaine de mètres. C’est ensuite, entre Stung Treng et Kratié, un bief plus élargi que coupent à Sambor les derniers rapides. Le débit annuel s’élève déjà en cet endroit à 450 milliards de mètres cubes (débit annuel moyen 14 000 m3/s, débit maximal 66 700 m3/s en 1939, débit minimal 1 250 m3/s en 1960). La pente du fleuve est très faible: quelques mètres sur plus de 500 kilomètres qui le séparent encore de l’embouchure.

On débouche alors dans la grande plaine du Cambodge occupant les deux tiers du pays (125 000 km2), centrée sur la plaine des Quatre Bras autour de Phnom Penh (Mékong amont, exutoire du Tonlé Sap ou Grand Lac, Mékong aval et Bassak). Enfin, le Mékong, remonté par la marée sur plus de 300 kilomètres, traverse la plaine des Joncs dont 20 p. 100 de la superficie est située au Cambodge et 80 p. 100 au Vietnam. Il porte alors le nom de Cuu Long (fleuve aux neuf dragons). Le delta, qui couvre 960 000 hectares, est composé de six bras principaux et ce sont plus de 500 milliards de mètres cubes qui annuellement se déversent en cet endroit dans la mer de Chine.

 

Delta du Mekong

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Un grand projet d’aménagement
Le Comité international pour la coordination des études sur le bassin inférieur du Mékong a été créé en 1957 dans le cadre de la Commission économique pour l’Asie et l’Extrême-Orient (C.E.A.E.O.) des Nations unies à Bangkok. Il regroupe les quatre pays du cours inférieur du Mékong: Laos, Thaïlande, Cambodge et Vietnam, et a reçu l’assistance de vingt-six pays, de dix-huit organisations internationales et de trois fondations privées. Sa vocation est de réaliser des études, de rechercher les moyens de financement et d’apporter éventuellement une assistance technique pour la réalisation des projets dans le cadre d’un développement coordonné à l’échelle du bassin. à ce titre il a pu rassembler entre 1957 et 1980 près de 430 millions de dollars. Avec ce qu’il était convenu d’appeler jusqu’à la fin des années soixante l’«esprit du Mékong», le fleuve retrouvait son ancienne fonction de trait d’union, alors que la colonisation en avait fait une frontière internationale non seulement entre deux états voisins et de population thaï, mais surtout entre les ambitions coloniales britanniques et françaises.


Dans cette première période, le Comité a pu, en un temps record compte tenu de la situation de départ (moins d’une dizaine d’années), réunir une information cohérente sur l’ensemble du bassin inférieur du Mékong. Cette information a été synthétisée dans L’Atlas des ressources physiques, économiques et sociales du bassin inférieur du Mékong , publié en 1968, qui par ses nombreuses cartes, notices et séries statistiques constitue un ouvrage de référence irremplaçable. Ces études, dépassant de loin la capacité financière et technique des pays riverains, ont été d’autant plus stimulées que, parallèlement, le Comité entreprenait dans chacun des quatre pays un ou plusieurs aménagements d’affluents, visant le double objectif de l’irrigation et de la production électrique, présentés comme le symbole de la coopération entre ces pays. C’est ainsi que les barrages de Prek Thnot au Cambodge, de la Nam Ngum au Laos, de la Nam Pong et de la Nam Pung en Thaïlande, auxquels s’ajoute l’aménagement de casiers pour lutter contre les intrusions d’eau saline dans le delta au Vietnam, ont été mis en chantier et souvent achevés avant 1970. Au savoir ainsi constitué s’est ajouté un savoir-faire en matière de grands aménagements, qui constituent l’un des apports les plus positifs du Comité international du Mékong.

Cet élan s’est pourtant brisé à la fin des années soixante lorsque le Comité voulut changer l’échelle de ses interventions, en passant des projets d’affluents réalisés dans des cadres strictement nationaux aux projets «sur le cours principal», c’est-à-dire sur le fleuve lui-même, nécessitant une mise en œuvre internationale. L’événement révélateur des difficultés rencontrées à ce stade a été l’élaboration d’une planification intégrant les projets du cours principal, qui supposait un accord sur une charte d’utilisation des eaux et sur la gestion des installations communes aux pays riverains. Or ceux-ci refusèrent de déléguer la moindre parcelle de leur souveraineté. En outre, les quatre pays riverains refusèrent de classer selon un ordre de priorité les aménagements prévus sur le Mékong. Ceux-ci avaient été, il est vrai, étudiés de manière fort inégale: étude de faisabilité détaillée pour les uns, vague étude de reconnaissance pour les autres. Un tel choix revenait en fait à adopter les priorités définies par le Comité et par le principal pays finançant les études sur le fleuve lui-même: les états-Unis d’Amérique. Aussi s’est-on résolu en 1970 à présenter un plan indicatif comportant un programme à court terme pour la période 1971-1980 prolongeant les projets d’aménagement des affluents de la phase précédente, et un programme à long terme, jusqu’à l’an 2000, comprenant plusieurs séquences de projets interdépendants sur le fleuve, articulés autour des deux principaux aménagements de Pa Mong en amont de Vientiane et de Stung Streng au Cambodge.

Cette crise révéla aussi les disparités existant entre les trois pays engagés dans le conflit indochinois et le quatrième, la Thaïlande, qui en profitait sans encore en subir les conséquences. Le programme à court terme du plan indicatif illustre bien cet état de fait. Alors qu’au Vietnam il n’est envisagé que la continuation de la poldérisation et la lutte contre la salinité dans le delta du Mékong (les projets hydroélectriques de la haute Sé Sane et de la haute Sé Done demeurant hypothétiques en raison de la guerre) alors qu’au Cambodge un seul barrage supplémentaire est prévu à Battambang en complément de celui de Prek Thnot, et qu’au Laos est retenue seulement la deuxième phase de la Nam Ngum portant la puissance installée de 30 à 110 MW, la Thaïlande se taille la part du lion. La simple énumération des barrages en cours de réalisation: Lam Dom Noi, Nam Phrom, Lam Pra Plerng, Lam Takhong, Nam Con, s’ajoutant aux deux ouvrages achevés de Nam Pong et de Nam Pung, permet d’en juger. De même la Thaïlande est le principal bénéficiaire du barrage prévu sur le Mékong à Pa Mong, tant pour l’électricité produite (4 800 MW installés), puisque le Laos exportait déjà les trois quarts de la production de la centrale de la Nam Ngum, que pour la surface irrigable: 88,5 p. 100 des 640 000 hectares prévus. Dans le cadre des études de Pa Mong, il a même été un moment envisagé de détourner la «part des eaux du Mékong revenant à la Thaïlande» vers le bassin de la Ménam, pour irriguer la plaine centrale au lieu du Nord-Est, bien que cela soit en parfaite contradiction avec l’un des principes fondamentaux du Comité du Mékong: le retour au cours principal des eaux utilisées par les divers aménagements.

Le poids de la Thaïlande est, il est vrai, écrasant si l’on considère les populations nationales: avec ses 30,6 millions d’habitants en 1965, elle dépasse ses trois partenaires réunis qui comptent 24,8 millions (6,1 pour le Cambodge, 2,6 pour le Laos et 16,1 pour le Sud-Vietnam) selon les statistiques figurant dans l’atlas publié par le Comité. De même si l’on prend en compte uniquement la population du bassin inférieur du Mékong: avec ses 11,2 millions d’habitants, elle est un peu dépassée par ses voisins réunis 14,8 millions (Sud-Vietnam 6,6, Cambodge 5,7 et Laos 2,5). Cette inégalité démographique étant renforcée par sa situation stratégique dans le conflit indochinois, toute politique d’intégration ne pouvait se traduire que par une domination accrue de la Thaïlande.

L’établissement en 1975 de régimes révolutionnaires au Cambodge puis au Laos, et surtout un Vietnam réunifié de cinquante millions d’habitants, non seulement ne rétablirent pas l’équilibre entre les pays riverains puisque le risque de domination se trouvait inversé, mais rendirent au Mékong la fonction de démarcation qui fut la sienne à l’époque coloniale. Au lieu de séparer les ambitions britannique et française, il sépare des régimes politiques de nature différente et opposée. à cette première division s’est ajoutée avec le conflit sino-vietnamien, une nouvelle ligne de partage entre régimes socialistes cette fois, avec d’un côté Chine et Kampuchéa démocratique, et de l’autre Laos et Vietnam. De 1975 à 1977, le Comité du Mékong s’est trouvé entièrement paralysé du fait du retrait des Khmers rouges. En janvier 1978, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam ont constitué un Comité intérimaire. L’établissement, en 1979, d’un gouvernement pro-vietnamien après l’occupation du Cambodge par les troupes de Hanoi, n’a pas résolu la question car, faute d’une reconnaissance internationale à l’O.N.U., celui-ci n’a pu récupérer le siège laissé vacant du Cambodge.

Aussi le Comité intérimaire a-t-il renoué dans cette troisième période avec la politique suivie durant les années soixante: poursuite des études (réalisation de cartes thématiques du bassin inférieur du Mékong établies à partir d’images-satellite, études des pêcheries dans les réservoirs, étude des modifications apportées à l’environnement par ces grands réservoirs, modèles de prévision des crues), et réalisation de projets nationaux (troisième phase de la Nam Ngum portant la puissance installée de 110 à 150 MW, petits barrages sur les affluents, amélioration de la navigation, projets agricoles pilotes). Ces projets sont tous de taille modeste du fait de la difficulté de rassembler les fonds nécessaires aux financements dans la situation actuelle; leur montant total entre 1977 et 1980 s’élève à 70 millions de dollars. L’aménagement du cours principal, qui nécessite une coopération internationale, est remis à plus tard, lorsque les problèmes de souveraineté auront été résolus et que les conditions politiques dans la péninsule le permettront. Une seule certitude s’impose, c’est qu’il faut compter avec la Chine qui contrôle près de 2 000 km du cours supérieur du Mékong, et qui siège à la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (C.E.S.A.P., autrefois dénommée C.E.A.E.O.) dont dépend le Comité international du Mékong.

 

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